Le 23 novembre 2022, ENACT a organisé un séminaire consacré au commerce de cigarettes, à ses nombreux flux illégaux et au rôle central de l’Afrique du Nord dans ce marché. Cet événement a présenté les nouvelles recherches sur ce commerce lucratif et l’axe nord-africain, la région étant une plaque tournante de transit, de destination et de consommation pour le trafic de cigarettes par les groupes criminels organisés locaux et ceux du Golfe, du Sahel et des Balkans.
Massimiliano Messi, chef de la section Gouvernance de la délégation de l’UE à Tunis, a ouvert l’événement et a présenté le contexte du commerce illicite de cigarettes – un commerce de plusieurs milliards de dollars qui alimente le crime organisé et la corruption. Soulignant que le tabac est en effet la substance légale qui fait l’objet de la plus grande contrebande au monde, il a confirmé le rôle clé de l’Afrique du Nord dans les itinéraires mondiaux et complexes du commerce de cigarettes, particulièrement liés au Sahel, au Golfe et aux Balkans. M. Messi a réitéré le soutien de l’Union européenne à l’ENACT et à ses recherches qui permettent de mieux connaître les tendances actuelles du crime organisé afin de sortir de scénarios difficiles comme celui-ci.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal à l’ENACT, a mis l’accent sur le rôle central que joue l’Afrique du Nord dans les réseaux de contrebande de cigarettes, principalement en raison de la géographie et de sa position clé entre le Golfe, l’Europe et le Sahel. Les flèches vertes de la figure ci-dessous représentent les itinéraires de contrebande de cigarettes les plus populaires, du Golfe vers l’Afrique du Nord. Le principal itinéraire consiste à faire passer des cigarettes en contrebande depuis les zones de libre échanges aux Émirats arabes unis (EAU) à la Libye, en passant par l’Arabie saoudite et l’Égypte, puis en Algérie et en Tunisie, deux grands marchés de consommation de cigarettes illégales. En 2017, 10 milliards de cigarettes ont été passées en contrebande à travers l’Afrique du Nord par cette voie. Un autre itinéraire consiste à faire passer des cigarettes des Émirats arabes unis à travers la Turquie jusqu’aux Balkans, de là en Grèce, puis de là en Tunisie et en Libye. En 2017, quatre milliards de cigarettes ont été passées en contrebande depuis la Grèce et les Balkans vers la Libye et la Tunisie. Les activités de contrebande se déroulent également au milieu de la mer Méditerranée, les contrebandiers libyens rencontrant leurs homologues des Balkans ou du Moyen-Orient au milieu de la mer et y échangeant des marchandises, par exemple des cigarettes contre de l’essence ou d’autres biens.
Les flèches rouges représentent un autre itinéraire de contrebande populaire où la Libye sert de plaque tournante aux criminels des Balkans pour réacheminer les cigarettes de contrebande vers l’Europe occidentale, l’Italie jouant un rôle clé dans ce flux illicite. M. Abderrahmane a noté le nombre croissant d’usines de tabac chinoises en Roumanie, en Bulgarie, en Bosnie, au Kosovo et en Albanie, certaines d’entre elles étant impliquées dans la contrebande de cigarettes entre les Balkans et l’Afrique du Nord. Ces usines sont en fait la principale source des cigarettes vendues sur le marché noir en Afrique du Nord – les cigarettes sont marquées comme devant être exportées vers la Turquie ou l’Italie, mais elles sont détournées vers la Libye et introduites en contrebande dans d’autres pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne.
Le Sahel joue également un rôle dans ce marché criminel. Les cigarettes font l’objet d’un trafic à travers la région vers la Libye et l’Algérie, comme le montrent les flèches bleues de la figure ci-dessous. Les cigarettes peuvent également être acheminées du Burkina Faso vers le Niger, puis vers la Libye. Elles peuvent aussi être déplacées du Burkina Faso vers le Mali, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger, puis la Libye.
La Libye est devenue une plaque tournante pour toutes les formes d’activités de contrebande, y compris les cigarettes, en grande partie en raison de son instabilité géopolitique, à laquelle s’ajoute sa situation stratégique, qui en fait un pays de transit idéal. L’une des destinations les plus importantes des cigarettes passées en contrebande par la Libye est la Tunisie – en 2017, la Libye a été un point de transit pour 2,1 milliards de cigarettes illicites, et on estime que depuis 2016, un quart des cigarettes consommées en Tunisie sont soit contrefaites, soit passées en contrebande. L’élément moteur de la contrebande de cigarettes en Tunisie est le prix, car les cigarettes illicites sont environ 50 % moins chères que les marques. En outre, l’État tunisien détient le monopole de l’industrie du tabac, hautement réglementée. Les acteurs corrompus du marché licite des cigarettes sont donc incités à profiter de leur position, par exemple en provoquant des pénuries de cigarettes de marque pour augmenter la demande de cigarettes de contrebande.
M. Abderrahmane a conclu en rappelant le problème de santé que pose la cigarette. Les cigarettes vendues en Afrique contiennent des niveaux plus élevés de composants nocifs tels que le monoxyde de carbone et la nicotine que celles vendues dans l’UE, et la consommation augmente en raison de réglementations laxistes et d’une politique commerciale agressive menée par les fabricants. En outre, il a conclu qu’à moins que les zones de libre-échange, comme celle des Émirats arabes unis, ne soient mieux contrôlées, la contrebande de cigarettes se poursuivra en Afrique du Nord et ailleurs.
Un enregistrement du séminaire est disponible ici. [en anglais]