Le 17 octobre 2023, le GIFP ENACT a organisé un séminaire en ligne pour discuter du commerce et des flux illégaux de personnes, de biens et de substances à travers l’Afrique et de leur impact au-delà des frontières du continent, comme le montre l’augmentation de la migration irrégulière et des flux financiers illicites vers l’Europe. La Commission européenne a ouvert l’événement en réaffirmant l’engagement de l’UE envers le travail de l’ENACT, soulignant l’importance de l’événement pour “mettre en évidence les complexités croissantes des marchés criminels, la convergence des acteurs et des réseaux transnationaux organisés dans la région et mettra encore plus en évidence l’appel à la coordination bilatérale et multilatérale des acteurs étatiques et des partenaires”.
Les panélistes ont ensuite présenté le contexte général de la situation politique et économique actuelle sur le continent africain. Selon Ronak Gopaldas de Signal Risk, de nombreux gouvernements africains sont frustrés d’avoir à gérer les retombées de crises échappant à leur contrôle, telles que la crise financière de 2008, la pandémie et la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Malheureusement, l’incapacité de plusieurs gouvernements à gérer efficacement cet environnement contemporain a laissé peu de confiance dans les contrats sociaux, ce qui a érodé la résilience des institutions cruciales nécessaires pour lutter contre la criminalité. Bien que les choses semblent sombres, l’Afrique se trouve dans une position unique au sein du système international, avec la croissance des BRICS et la polarisation de l’arène internationale, “L’Afrique est courtisée comme la belle du bal. Elle pourrait fournir les investissements étrangers et les technologies nécessaires pour intégrer des raccourcis technologiques dans le développement.
Le professeur Etannibi Alemika, du comité consultatif de l’ENACT, a examiné en profondeur l’impact de la présence de la criminalité organisée sur la résilience. En se référant à l’indice mondial de la criminalité organisée récemment publié, il a souligné que peu de pays sont à la fois hautement délinquants et très résilients. Toutefois, ce statu quo de forte criminalité et de forte résilience n’est viable qu’à court terme car, à long terme, la criminalité organisée (forte criminalité) finira toujours par affaiblir les institutions qui soutiennent la résilience de l’État.
L’indice révèle l’augmentation continue de la criminalité organisée dans le monde, 83 % de la population mondiale vivant dans des conditions de grande criminalité. En outre, le nombre de personnes vivant dans des conditions de faible résilience face à la criminalité organisée a considérablement diminué, passant de 79,4 % en 2021 à 62 % aujourd’hui. Les marchés criminels les plus répandus en Afrique sont le trafic d’êtres humains et le trafic d’armes, et les principaux acteurs sont des acteurs intégrés à l’État. Les démocraties continuent de faire preuve d’une plus grande résistance à la criminalité organisée que les régimes autoritaires et l’indicateur de résistance le plus faible, tant en Afrique qu’au niveau mondial, reste les programmes d’aide aux victimes et aux témoins.
Les discussions qui ont suivi ont porté sur le rapport d’INTERPOL relatif au trafic illicite de la plante psychoactive Tabernanthe Iboga et sur les difficultés croissantes rencontrées par le Gabon dans la lutte contre ce trafic. La représentante d’INTERPOL, Anabella Corridoni, et le capitaine de la police gabonaise, Norbert Christian Ayenengoye, chef de l’Unité d’analyse des renseignements criminels au Gabon, ont expliqué qu’au Gabon, la plante est protégée car elle reste un élément essentiel du rite de passage de l’enfance à l’âge adulte dans diverses communautés, mais que sa vente en ligne a fait croître le marché à des niveaux jamais atteints auparavant (en 2022, il y avait cinq revendeurs, en 2023, il y en a plus de 40). Le Gabon a interdit son utilisation en dehors des pratiques médicales ou culturelles, mais les trafiquants la récoltent dans la nature de manière non réglementée. Cette récolte non réglementée, qui a souvent lieu dans des habitats protégés, a de graves répercussions sur l’environnement et nuit considérablement à la biodiversité de la région et de ces parcs. Les principales destinations pour l’exportation de cette plante sont l’Amérique du Nord et l’Europe.
La discussion s’est poursuivie avec deux présentations sur les tendances actuelles du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest. La Directrice de l’Observatoire de l’Afrique de l’Ouest de l’Initiative globale contre la criminalité organisée, Lucia Bird, a indiqué que la région connaissait des saisies record de cocaïne, et que des alliances importantes se créaient entre les groupes de criminels organisés brésiliens, tels que le Primeiro Comando da Capital, et les groupes ouest-africains, tels que les réseaux nigérians ou les entrepreneurs indépendants. L’analyste d’INTERPOL, Serge Epouhe, a attiré l’attention sur le fait que le point le plus à l’est du Brésil n’est qu’à 2 700 km de l’Afrique de l’Ouest, et que la tendance est donc que les envois à destination de l’Afrique de l’Ouest proviennent principalement du Brésil. En outre, les ports restent les principaux points d’entrée, mais le transbordement et les avions sont également utilisés, l’accent étant mis sur l’assistance des acteurs étatiques pour faciliter l’entrée des cargaisons dans la région. Une dernière observation faite par l’intervenant est que, au moins dans les cas de la Guinée et de la Guinée Bissau, les saisies les plus importantes ont eu lieu pendant les périodes de bouleversements ou de changements politiques, ce qui indiquerait que dans ces moments de restructuration du pouvoir, l’application de la loi est en mesure d’opérer sans les contraintes des élites politiques corrompues.
Le webinaire s’est terminé par deux présentations sur la criminalité environnementale. Oluwole Ojewale, coordinateur régional de la lutte contre la criminalité organisée pour l’ISS ENACT, a souligné que la forêt tropicale autour du bassin du Congo reste un important puits de CO2. L’exploitation forestière illégale a provoqué une déforestation dont l’impact régional affectera non seulement les habitants du bassin, mais aussi les pays voisins, entraînant une diminution des précipitations et de la biodiversité. Des efforts accrus en matière d’interdiction sont nécessaires pour empêcher cette catastrophe environnementale en cours, tout en soulignant la nécessité d’impliquer les communautés locales dans la lutte, afin de minimiser la perturbation des économies locales.
Le dernier intervenant, Andrew Kachere, chef de l’unité d’analyse criminelle au Malawi, a présenté les conclusions de l’unité concernant les tendances de la criminalité environnementale dans le pays. L’unité a constaté que les syndicats criminels qui participent aux marchés environnementaux illicites au Malawi et dans les pays voisins sont principalement composés de ressortissants de Chine, du Mozambique et de Zambie. La présentation a mis en lumière une évolution positive de la législation du Malawi, qui vient de modifier sa loi sur les parcs nationaux et la faune sauvage, autorisant désormais des peines plus sévères pour les crimes contre l’environnement.
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